En l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, seul un accord négocié dans les conditions prévues par l’ancien article L. 132-26 du code du travail pouvait avoir la nature et les
effets d’un accord collectif.
Soc. 14 janv. 2014, FS-P+B, n° 12-19.412
Depuis leur expérimentation (L. n° 96-985, 12 nov. 1996, art. 6) et leur institution temporaire pour la mise en place de la réduction du temps de travail (L. n° 2000-37, 19 janv. 2000, art. 19,
VI), les modes alternatifs de négociation et de conclusion des accords collectifs ont été définitivement consacrés dans le code du travail (C. trav., anc. art. L. 132-26 [L. n° 2004-391, 4 mai
2004, art. 47] et art. L. 2232-21 s. [L. n° 2008-789, 20 août 2008, art. 9]).
La faculté de conclure un accord collectif par l’intermédiaire d’un représentant élu du personnel ou d’un salarié mandaté, en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, n’a, malgré toutes
les interrogations que ce dispositif a suscitées (V. not. G. Borenfreund,
La négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, Dr. soc. 2004. 606 ; A. Mazeaud, La négociation des accords d’entreprise en l’absence de délégué syndical,
Dr. soc. 2009. 669 ), donné lieu qu’à quelques rares décisions en une dizaine d’années (V. not. sur le statut protecteur des salariés mandatés, Soc. 28 mars 2006, n° 04-45.695, Bull. civ. V, n°
129 ; D. 2006. 1064, obs. E. Chevrier ; ibid. Pan. 2002, obs. J. Pélissier, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès ; Dr. soc. 2007. 564, note F. Petit ; 28 févr. 2007, n° 05-42.553, Bull.
civ. V, n° 36 ; D. 2007. 802 ; RDT 2007. 465, obs. M. Grévy ).
Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce sur le devenir de l’accord conclu irrégulièrement en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise.
L’ancien article L. 132-26 du code du travail, antérieur à la recodification et aux modifications apportées par la loi du 20 août 2008 et tel qu’issu de la loi du 4 mai 2004, soumettait la
faculté de négocier et de conclure, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, avec les représentants élus du personnel au comité d’entreprise ou un délégué du personnel ou avec un ou
plusieurs salariés expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales reconnues représentatives sur le plan national à des conditions distinctes.
L’accord conclu par un représentant élu du personnel devait être approuvé par une commission paritaire nationale de branche (C. trav., anc. art. L. 132-26, II, al. 2) tandis que celui conclu par
un salarié mandaté devait recevoir l’approbation des salariés, exprimée, lors d’un vote, à la majorité des suffrages exprimés (C. trav., anc. art. L. 132-26, III, al. 4).
Dans les deux cas, faute d’approbation, l’accord était réputé non écrit.
L’accord conclu par un délégué du personnel, mandaté par un syndicat représentatif, afin de mettre en place, sous l’empire de la loi du 4 mai 2004, une réduction du temps de travail a-t-il la
nature juridique d’un accord collectif alors qu’il n’a pas reçu l’approbation d’une commission paritaire nationale de branche ?
La réponse de la Cour de cassation est négative. Selon elle, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, seul un accord négocié dans les conditions prévues par
l’article L. 132-26 du code du travail, alors en vigueur, pouvait avoir la nature et les effets d’un accord collectif.
La solution apporte, d’abord, un éclairage sur les conditions dans lesquelles un accord peut être conclu par un interlocuteur autre qu’un délégué syndical.
La Cour établit, en effet, une séparation étanche entre la faculté de recourir à un représentant élu du personnel et celle de recourir à un salarié mandaté.
Dès lors qu’un salarié a été élu en qualité de membre du comité d’entreprise ou de délégué du personnel, il doit recevoir l’approbation d’une commission paritaire nationale de branche.
Cette condition est, à la fois, suffisante et exclusive de toute autre.
Ainsi, un salarié, élu du personnel, ne peut valablement conclure un accord collectif en étant mandaté par un syndicat représentatif. Inversement, si le salarié n’est pas un représentant élu du
personnel, l’accord qu’il aurait négocié et conclu n’est soumis qu’à l’approbation des salariés de l’entreprise. Le régime dont dépend l’accord collectif, selon que le salarié a été ou non élu à
un mandat représentatif, est impératif et d’ordre public. Il n’est donc pas soumis au libre choix de son destinataire et ne peut recevoir aucun aménagement contractuel contraire.
Rien de plus cohérent puisque ce dispositif est destiné à pallier l’absence de délégué syndical, lequel a pour mission naturelle de négocier et conclure des conventions et accords collectifs de
travail, et à concrètement garantir le principe constitutionnel de participation (A. Mazeaud, art. préc., § 3 et 6), tout en sécurisant la conclusion d’accords qui peuvent comporter des
engagements à la charge des salariés. La chambre sociale fait, d’ailleurs, obstacle à tout contournement des dispositions instituant les modes alternatifs de négociation des accords collectifs.
Les juges du fond, dont l’arrêt est ici censuré, s’appuyaient implicitement sur la jurisprudence Dame Charre qui avait, avant l’intervention du législateur, admis qu’un salarié mandaté puisse, en
l’absence de délégué syndical, mener une négociation collective (Soc. 25 janv. 1995, n° 90-45.796, Bull. civ. V, n° 40 ; D. 1995. 593 , note P. Pochet ; Dr. soc. 1995. 274, obs. G.
Borenfreund ; JCP 1996. I. 3901, n° 23, obs. P.-H. Antonmattei ; RJS 1995. 231, note J. Savatier).
L’attachement de la chambre sociale à l’ancien article L. 132-26 du code du travail conduit à rejeter une telle démarche : ce dernier article est seul à pouvoir autoriser et régir la conclusion
d’un accord collectif dans une entreprise dépourvue de délégués syndicaux.
La solution est, ensuite et surtout, l’occasion pour la Cour de fixer le sort de l’accord conclu alors que les conditions de l’ancien article L. 132-26 précité, en l’occurrence la nécessaire
approbation par une commission paritaire nationale de branche, n’ont pas été respectées.
Cet accord n’a ni la nature ni les effets d’un accord collectif.
La chambre sociale décide de se situer sur le terrain de la qualification juridique et non, comme l’y invitait le texte même de l’article L. 132-26 (en ce sens, V. G. Borenfreund, art. préc.),
sur le terrain de la validité de l’acte.
La disposition en cause prête, certes, quelque peu à confusion puisque, s’agissant des représentants élus du personnel, elle dispose que « les accords collectifs d’entreprise ou d’établissement
ainsi négociés n’acquièrent la qualité d’accords collectifs de travail au sens du présent titre qu’après leur approbation par une commission nationale paritaire de branche » et semble signifier
qu’à défaut d’approbation, l’accord ne revêt pas la qualification d’accord collectif (comp. L. n° 96-985, 12 nov. 1996, art. 6, II, al. 3 : qui conditionnait seulement la qualification d’accord
collectif à la validation des « textes ainsi négociés » par une commission paritaire de branche).
Cependant, tant pour les accords conclus par les représentants élus du personnel que pour ceux conclus par les salariés mandatés, l’article L. 132-26 du code du travail prescrit l’éradication de
l’accord en l’absence d’approbation.
La différence est fondamentale car, sur le terrain de la qualification, l’accord survit en toute hypothèse et peut donc produire des effets juridiques a minima, et ce, en étant qualifié
d’engagement unilatéral de l’employeur pour ses seules dispositions plus favorables aux salariés (sur la qualification de l’accord conclu entre employeur et institutions représentatives du
personnel, V. Soc. 7 janv. 1988, n° 85-42.853 ; Dr. soc. 1988. 464, note C. Freyria ; 19 nov. 1997, Bull. civ. V, n° 387 ; Dr. soc. 1998. 89, obs. G. Couturier ).
Il serait, par conséquent, souhaitable que la chambre sociale changeât de position pour se conformer davantage à la lettre de l’ancien article L. 132-26 du code du travail.
D’autant que le dispositif actuel qui figure aux articles L. 2232-21 et suivants du même code ne fait plus du tout référence à la qualification d’accord collectif de travail.
Une interprétation uniforme dans le temps aurait ainsi permis d’assurer une certaine stabilité d’interprétation du dispositif encadrant les modes alternatifs de négociation et de conclusion des
accords collectifs.
Car, à compter du 1er janvier 2010, date d’entrée en vigueur des nouveaux articles L. 2232-21 et suivants précités, le défaut d’approbation entraînera l’anéantissement des accords conclus.
En revanche, concernant les conditions de recours à ces modes alternatifs, le présent arrêt a pleinement vocation à régir les dispositions du code du travail dans leur dernière mouture, issue de
la loi du 20 août 2008.
par Bertrand Ines